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Epicurisme autour de la friture d’éperlans

Julien Fournier

La vie a son charme, notamment celui de nous faire affronter ce que l’on n’aurait jamais espéré. Ces petits quelques choses, aussi invraisemblables qu’ils soient, rappellent que de temps en temps, nous n’avons pas le choix. Alors je vous vois derrière vos écrans, impatient que je passe à table, afin de vous conter le pourquoi de ce mystère, qui pullule à cet instant à travers ces premiers caractères. Gardons tous ensemble la tête froide pour le moment. Ainsi, lorsque je recevais un appel de cette richesse que mon existence n’avait pas prévu, je me devais d’honorer par ma présence cet inattendu. Il faisait beau ce jour-là, et le soleil tapait aussi fort qu’Anthony Joshua. La future tablée que j’allais partager me paraissait étrange, tant je n’avais l’habitude de croûter avec ces étranges. Je dois maintenant vous l’avouer, et cesser cette truculente cachoterie. Nous étions trois ce dimanche-là, moi et deux amis. Et ? Les deux hurluberlus sortaient tout droit de la capitale de la porcelaine. Oui, vous l’avez bien compris, j’ai deux complices de Limoges, trimbalant leur naissante calvitie propre à la trentaine. Comme dirait mon ami du Bouchot, j’en avais la chair de moule.

Quand on décide de se réunir avec deux zouaves du Limousin, mieux vaut être outillé sur le sujet du basket ou de la céramique fine. Aussi, il ne faut pas oublier qu’avec les récentes réformes des régions, le chaland de la Haute-Vienne se considère comme du Sud-Ouest dorénavant. Je décidais donc de pénétrer leur illusion, commandant pour partager une belle planche de jambon. Leurs sourires ne trahissaient en aucun cas leur soudaine joie. Être heureux en étant du centre de la France est une véritable performance. Rien que pour cela, je vous le dis, merci et bienvenue les gars !

Notre planche de cochonnaille avalée, mes coquins de compères regardaient la cantinière avec persistance, tant l’appel de la panse se faisait avec insistance. Un des chenapans migrait vers une envie de chipirons, tandis que l’autre se projetait sur un camembert rôti tel un énorme cochon. J’optais personnellement pour une friture d’éperlans, dont j’apprécie la sensation en bouche de temps en temps. Avec leurs petits yeux globuleux, les polissons allaient me supplier depuis leur cassolette de ne pas les avaler de la tête à la queue. C’est mal me connaître, tant les extrémités rendent apparemment heureux. Un habitant de Mykonos me l’avait jadis certifié. Même frits, avec moi ils ne seront pas roulés dans la farine, tant je les respecterai par le biais de belles bouchées divines.

Comme mon ex ostréicultrice, l’éperlan a une agréable chair blanche et un goût délicieusement iodé. La différence notable était que je ne consommais pas mon ancien amour de jeunesse avec de la sauce tartare. Passons sur ce détail de mareyeur, pour vous narrer le meilleur. Dès que ma boustifaille se portait à hauteur de mes mains baladeuses, un contre la montre paraissait commencer, tant j’accompagnais en cadence les corps à ma bouche de façon affectueuse. Godailler une belle quantité de friture Osmerus eperlanus est la promesse de rousiquer en rythme ces longueurs sous-marines, dont la succession vous sale considérablement vos babines. Malgré le côté mécanique de ma becquée, je tenais à humaniser le rencard en vantant les bienfaits auprès de mes compagnons de ce que nous étions entrain de téter, un malicieux Chinon. Le bel équilibre de la boisson, conjugué à la discrétion tannique qu’elle renferme, était l’expression d’un plaisir expressif immédiat, que l’on se devait d’assouvir abondamment de ce pas. Nous passions certes un sympathique moment, mais ce breuvage de soif paraissait être le chinon manquant.

Il était bientôt l’heure de quitter les limougeauds, et je savais que je n’allais pas les revoir de si tôt. L’essence est accessible lorsqu’il s’agit de rallier Barcelone ou le Portugal, mais le financement de son plein est compliqué à boucler quand on doit avaler le pavé direction les premiers contreforts ouest du Massif central. Heureusement pour moi, mes deux acolytes sont comme vous mes zouaves, ils comprennent le second degré qui nourrit ma créativité. Et outre, Limoges à une tradition bouchère que je n’ai surtout pas envie de prendre à la légère, dans cette période ou le barbecue est une cible outrancière. Nous savions tous en nous séparant qu’il y avait de la friture sur la ligne concernant le sujet du grill, mais judicieusement les éperlans ont préféré m’en apporter sous mon nez.

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