Les chanteurs à texte de « Trois Cafés Gourmands » seraient déçus car le coin de paradis où je me trouvais mardi dernier est inoubliable, tant sa coquinerie gustative est quasi inavouable. Ainsi, marchant encore embrumé de mon dimanche passé à biberonner la soupe festive, je léchais les halles de ma ville avec l’idée de me restaurer de façon expéditive. Sur le pouce comme diraient les gens qui n’ont pas d’autres formules. Le choix du lieu fait, je me dirigeais d’un pas franc vers cet antre gourmand, dans lequel j’espérais faire danser mes papilles le temps d’un court moment. L’adresse est encastrée dans le marché de la cité, avec une vue imprenable sur les tables dressées et les chalands gobichonnant avec délectation. Je constatais assez rapidement que les « gniacs » de mes collègues de collation faisaient la part belle à la motivation. Cerise sur le gâteau, un des tenanciers de ce lieu fripon, venu d’Itxassou, est un ami dont la courtoisie n’est pas le seul motif à mes arrêts intempestifs. Souvent pour un café, voir un blanc frais, mais jamais pour manger. Comme dirait mon ami patient, mieux vaut tard que jarret. On y va ?
La grande qualité du patron d’un théâtre de bouche est de faire sentir au client qu’il est particulier. Ainsi, me voilà assis sur un tabouret, prêt à me goinfrer sur la desserte que le bougre m’avait gentiment proposée. J’étais en première ligne, pouvant quasi toucher de mon nez la plancha et son cuisinier. Le chef de bâfre, lui, pouvait donc aisément s’intéresser à mon moral et à mon état de santé. Plaisant, mais la finalité mon mignon sera toujours ce que je vais enfouir dans mon bidon. Le moment était venu pour lui de me tendre la carte, comme on tend la main à un ami. Son emplacement de grignotage était spécialisé dans les Taloas, galettes de maïs traditionnelles du Pays basque. J’affectionne énormément cette street food d’ici, réconfortante car très nourrissante, mais aussi polissonne lorsqu’elle est garnie de petites canailleries. Et croyez-moi, je ne comptais pas abriter dans ma grotte friande une becquetance n’ayant aucun sens. C’est décidé, ma cuisine de rue sera égayée ce midi de délicieuses Txistorra, faisant l’amour à une Tome de vache aussi fougueusement que Mr Siffredi était consciencieux dans sa spécialité.
Le service est rapide, et la cuisson semble maîtrisée. Cette offre de restauration rapide ne paraît pas comme les autres, insipide. Tandis que mon chausson débarquait sous mon groin alléché, une satisfaction se lisait instantanément en détendant mon visage et ses traits. En effet, le pouvoir de gloutonnerie de cet objet éphémère était spectaculaire. Avoir ça devant soi était pour moi la caverne d’Ali Gaga. Et pensez bien mes zouaves, que même si je ne suis pas spéléologue, mon envie d’explorer la cavité était aussi présente que le désir d’y mettre un doigt pour un proctologue. De plus, le ticket d’entrée était moins onéreux que pour visiter Lascaux, avec en prime la jouissance de croiser directement de magnifiques stalactites du ruminant fondu. La générosité n’était pas un terme galvaudé, comme me l’avait promis ce sapajou de gérant. Les deux longueurs de charcuterie, elles, trônaient majestueusement dans cette enfonçure de contentement. Elles étaient tournées vers ma boîte à dire, comme pour me signifier qu’elles attendaient du plaisir. Vous inquiétez pas les copines, je comptais bien vous rousiquer sans me faire prier. Si seulement vous pouviez juste me faire un peu dresser…
Quelques coups de canines plus tard, je me retrouvais la panse rassasiée mais le cœur léger. J’étais simplement heureux de partager avec ma solitude ce précieux instant. Jean-Jacques Goldman chantait Je marche seul, acteur et voyeur. Je n’ai pas à juger, il faisait ce qu’il voulait. Moi, j’aurai plutôt dit que je marchais seul, acteur puis conteur. Vous n’êtes pas d’accord ?
