Quel bonheur d’avoir dans son village de cœur un talentueux traiteur. C’était en effet ce que je me disais hier, en gobichonnant ma ration avec la motivation d’un ardent avaleur. Le bougre à tablier repassé, présent depuis quelques années dans le centre de la bourgade, propose des mets cuisinés d’une qualité notable. Si le poulet dominical est un rendez-vous formidable, l’erreur serait de passer à côté de la paëlla du samedi, sorte de voyage hebdomadaire recommandable. Mes farouches asticots, embarquons ensemble pour une virée ensoleillée, ou la moule délaissant son rocher côtoie le poulet.
Nous étions donc samedi en fin de matinée, et nous avions, avec mon invitée, décidé de faire marcher le commerce de proximité. Un marchand de bon élisait domicile à quelques kilomètres de mon assiette, et proposait des plats toujours chouette. Il n’en fallait pas plus pour que nous démarrions l’automobile vers notre idée loin d’être débile. Le remarquable marmiton promettait une paëlla endiablée, dont nous étions prêts à goûter le moindre grain qui allait trainer. Diable, que la devanture du polisson était gourmande, avec un poêle en acier aussi large qu’affriande. Les effluves ibériques indiquaient le chemin de notre gourmande vadrouille, qu’il fallait croûte que croûte prendre, avec passion et sans trouille. Mon accompagnatrice, filoute ne perdant pas le nord, acquiesçait ce glouton festin venant du sud. Je la surprenais même avec une mimique heureuse, demander du riz pour une famille populeuse. Affaire à suivre…
Lorsque je mets le museau devant du riz jaune, je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour le masseur de Mme Balkany, surnommait Grain de riz. Cependant, le douteux raccourci me fait rire jaune. Passons ce sombre souvenir, pour s’attarder enfin sur ma gamelle plein d’avenir. Il faut la voir pour la croire, la paëlla du gargotier plaisir. Le chenapan, garnit cette spécialité culinaire espagnole aussi généreusement qu’un banc de carpe s’offrirait à un pélican. Inutile de choisir entre terre et mer, ici le mélange ne manque pas d’air. On peut y sucer des queues de crevettes, sentir une moule de près, avaler un chorizo calibré ou ronger un os de poulet. Mazette, notre écuelle devient alors un terrain de jeu pour ripailleurs chanceux. Assieds-toi pimprenelle, le micro-onde vient de sonner la mastique charnelle.
Le temps radieux, permettait une bâfre extérieure, que l’on savait déjà lumineuse par la couleur or de l’amidon cajoleur. Aussi, j’avais la sérieuse responsabilité de rationner ma galopine, de quelques cuillerées coquines. En s’exclamant qu’elle aspirait à jouir de chaque aliments, la bandite trahissait un sacré goût pour la belle becquée. Laissez-moi vous mettre le pilon avec votre extrême approbation ! Puis-je déposer dans votre soupière un calamar dont les tentacules devaient être jadis nourricière… Bref mes divins esturgeons, vous avez saisi le poids de la charge qui m’incombait au moment de lui apporter sa fricasse. Aucune raison que je trépasse.
À la bonne tenue de sa mandibule, je pigeais que la paëlla était accueillante. Il suffisait de constater les coups de dents mis dans la garniture, pour savoir que je n’avais pas donné au cochon de la confiture. Le plus gros ennemi de la paëlla est la sécheresse de son riz, qu’ici, nous ne constations absolument pas. Les nappes orgasmiques étaient remplies de désir et nous de joie. Quelle chance de se délecter de cette particularité hispanique, trop souvent bâclée pour cause de recherche de pseudo authentique. Si le cordon bleu n’est pas un joueur de castagnettes, il maîtrise néanmoins la mélodie de la brunette ! La mienne se régalant, lorsqu’elle posait, dans le savant mélange, son trident. Symbole de la convivialité, la paëlla du samedi nous faisait patienter jusqu’à la volaille sacrée, avec son enivrant fumet permettant de nous évader.
