Vous pensiez que seul un contorsionniste pouvait déguster une tête et une queue en même temps ? Il fut une soirée de début d’été, où j’aspirais à faire plaisir à une jeune élancée. Le programme était simple, tartinable pour une partie, le fruit de mon retour de courses pour l’autre. J’avais ce soir-là une idée bien précise de la direction que je souhaitais donner à la soirée. Elle devait être iodée, afin de faire chalouper l’ambiance sur une houle de félicité. M’étant renseigné un minimum sur celle qui m’accueillerait, je m’étais mis en tête de ramener ma bobine souriante et une belle poignée de bulots. Plus qu’une mission sous-marine, je prenais cela comme un boulot dans lequel je devais sentir le bon filon à pleines narines. Le blanc, lui, était déjà dans mon frigo depuis quelques jours, étant prévoyant si une postière de fortune sonnait à toute heure à mon appartement. Un calendrier ? Ou d’abord l’ivresse d’un bon moment.
Revenons à nos boutons comme dirait mon ami couturier. L’invitation que j’honorais s’était dessinée un peu tard dans la journée, ce qui me laissait un temps restreint pour faire mes achats, et éviter de me retrouver dans le pétrin. La cible n’étant pas sujette à l’enthousiasme des instants, je me devais d’enfiler ma plus belle marinière afin d’enjoliver le futur présent. Alors que je démarrais l’auto en direction de la poissonnerie, j’avais conscience que la fraîcheur primerait sur le prix. Lorsque j’arrivais devant l’étal à nageoires, ma mine se déconfisait comme mon espoir. Le marchand n’avait plus de bulots, et moi, le moral proche de zéro. Qu’allais-je bien faire becqueter à mon acolyte de gloutonnerie afin de lui faire avaler cette pilule salée ? C’était le moment de me jeter à l’eau, en demandant une belle portion de crevettes grises. Vous connaissez, mes souriceaux, mon appétit pour les brunes. Ces crustacés ont par chance cette couleur qui me grise. Ce mets s’avale littéralement à l’apéritif, avec la cadence infernale d’un trader sur un marché boursier. Je connaissais déjà la chanson, et mon appétit qui venait frapper à la porte jamais sans raison.
Nous allions, sans sommation, changer l’écosystème de ces bouchées à antenne. Jadis s’exprimant à merveille à faible profondeur, nous comptions les tremper dans de l’aïoli avec une belle ardeur. L’odeur buccale participait directement à la bonne tenue de la gamelle dinatoire, et le ramequin qui servait de dernière demeure à notre bonheur se vidait inexorablement. Je remarquais assez vite que ma voisine de canapé préférait gagner au loto que de s’alimenter avec ses habitants des eaux. La gredine s’en mettait moins dans le bec que moi, c’était une évidence. Néanmoins, j’éprouvais une satisfaction à voir la chienne de l’habitante se régaler. Nous avions les mêmes goûts, la différence résidant dans le fait que je n’aboyais pas, et que je ne faisais pas pipi sur les tapis de mes amis. Aussi, les ultimes crevettes que je tenais fermement dans ma pogne me servaient pour maculer mes boudoirs de sauce provençale, avant bien entendu d’aller me lotionner la trogne. Ma moustache, témoin de ma belle partie de croûte, méritait un bain savonneux. Mon hôtesse, elle, devait juste subir un bécot respectueux. Diable, j’avais encore faim ! Sortons le jambon que je puisse te faire un cri de cochon !

Trop souvent sous-estimé, ces bitoniaux marins ont la faculté à nous contenter lors de sauteries estivales. Généralement cachés sous des surplombs rocheux ou enfouie dans le substrat, ils laissent uniquement dépasser les antennes afin que nous captions idéalement nos desiderata. Messieurs, pas d’inquiétude, je commencerai toujours par vos têtes pour être à la fête.
Merci pour ce moment.