Souffler le chaud et le froid, c’était la schizophrénie alimentaire que ce midi-là, j’avais choisie. Il valait mieux opter pour cette ambiguïté à table que dans la vie. Je n’avais pas besoin d’un coach à la mode afin d’avoir la certitude que les changements d’humeur et sans cesse d’avis, promettaient à l’existence des surprises délicates et une perte de sens. Heureusement que l’être humain détient en sa vie le pouvoir d’évoluer, de se stabiliser. Travail de longue haleine, moins chargé qu’après l’ingurgitation d’une pissaladière, mais tout de même conséquent. J’optais ce mardi de fin juillet pour un déjeuner accompagné de ma seule présence. Vous le savez mes bigorneaux, j’affectionne particulièrement, et de plus en plus, ces instants pour soi qui ne trompent pas. On ne triche jamais devant la solitude, qu’elle soit volontaire ou pas. Lorsque la veille j’appelais l’auberge qui allait m’accuellir, j’ai senti à la voix de la loustic qu’une belle table pour une personne ne semblait vraiment pas compliquée à caser. Je n’étais assurément pas son affaire du siècle, mais je venais avec la motivation d’un canasson à l’approche d’un tiercé. Rentrons ensemble dans ce bouillon, que j’espérais teinter d’émotions grâce à une belle mastication.
Le rendez-vous de la mi-journée serait climatisé, puisque j’établissais mon corps de criquet à l’intérieur de la ruche. En effet, le soleil frappait la terrasse avec autant de plaisir qu’une fille de joie se prendrait d’affection pour une paluche. Et puis, la tranquillité du moment ne permettait d’avaler les pages de mon canard, avec l’appétit d’un individu ayant commandé une salade de lardons et croûtons dorés, suivi d’un rôti de bœuf. En somme, le panard. La température du jour m’aiguillait sur un repas caloriquement minime, malgré la présence de l’espiègle mayonnaise et des frites maison qui entouraient mon rôti de Limousine. Je ne cachais pas ma satisfaction devant la bienveillance de celle qui s’occupait de moi, et surtout devant mon choix. Il n’y a que ce genre de bistrot qui puisse proposer des plats d’une telle simplicité, aussi bien ficelés. La clé du bonheur réside dans la simplicité, souvenons-nous de cette phrase à succès. Lorsque mes lardons à la salade furent consommés sans rechigner, je me languissais de voir apparaître la bête aimée. Nous étions sur un programme de pique-nique avec nappage et vaisselle blanche, mais surtout de belles tranches ! Mazette, l’animal se présentait en cinq segments, d’une finesse à émouvoir un prothésiste devant une hanche. La patate, elle, était calibrée idéalement pour les belles plongées dans la mayonnaise et son onctuosité. Je me sentais bien dans ce décor léché, d’un chic familier. Il ressemblait à ce que je gobichonnais, accueillant sans être ostentatoire, lumineux sans être tapageur. Le bovin se comportait bien dans mon estomac, puisqu’aucun ballonnement ne contrariait mon événement solitaire. Juste quelques éclaboussures de vinaigrette sur mon journal témoignaient d’un débordement émotif, que je n’appellerais à taire.
Je ne suis pas un moine, ayant trop de cheveux pour la fonction. Mais me retrouver isolé des tumultes humains, me fait de temps en temps, du bien. Aussi, partager avec soi-même un rôti de bœuf froid rappelle les jouissances de l’enfance. À cette époque, il n’y avait pas de repas charnels aux chandelles, mais juste une perfection conceptuelle. Les classements et avis n’existaient pas, contrairement au plaisir d’être là. Subjectivement, avec un morceau de viande entre les dents.
Mon rôti, je dois juste te dire merci.
